ACCIDENTEL

11/03

Au virage du village, Anna prit un nouvel envol, accidentel. 
Anna ouvre les yeux accroupie devant son acte inaccompli. Anna semble reprendre ses esprits, d’un mouvement violent 
redresse le volant, elle s’aperçoit au même moment qu’elle n’a plus d’obstacle à franchir, plus d’urgence, ni volant dans 
ses mains, ni frein, ni platane devant elle, seule présence : cette pression tenace dans sa poitrine, persistante et puis plus 
rien. 
Nul ne saurait indiquer combien de temps après ce choc lui apparut sa silhouette, d’apparence humaine cependant… Il 
s’approcha du véhicule, celui-ci rendait l’âme suite à l’embardée sauvage qui avait projeté Anna dans le fossé. La lumière 
des phares éclairaient faiblement le véhicule, une lueur. 
C’est alors qu’Anna sentit ce phénomène surnaturel, ou plus précisément hors du réel se produire. Cet homme en face 
d’elle, à l’extérieur de sa voiture emboutie, devant ses phares, réfléchissait, l’éclaboussant de lumière, des faisceaux 
colorés jaillissaient sous sa combinaison. 
La pluie s’abattait sur la route marquant autour de son corps des reflets spectraux. 
Qui saurait dire comment naquit cette composition lumineuse ? Était-ce à l’effet spécifique de la nuit glacée, humide, 
chargée d’électricité. 
La lune moirée, recouverte d’un brouillard à couper au couteau. 
Au bout de quelques minutes l’impression lumineuse fut telle qu’on vit la carcasse du véhicule transpirer, dégager telle une 
luciole, des couleurs blafardes, la ferraille tordue. L’ homme en face d’elle floue.. 
Anna, recroquevillée sur elle-même, meurtrie, effrayée par ce qu’elle vient de vivre et par ce qui se présente à elle, se fait 
violence. Relève sa tête, garde les mains posées sur son visage, du coin de l’œil, découvre sa chevelure dense, ses yeux 
noirs, Il est paré d’un costume trois pièces bleu marine, aussi saugrenu que désuet. 
Anna le détaille : silhouette squelettique, longiligne, stature droite et décidée, figure aux joues creusées, les yeux sans 
reflet, son âge, elle ne saurait l’indiquer, 35 ans à peine ? 
Désagréable ce type, son allure, sa dégaine, affichant cet air cynique, narquois, inquiétant. Un brun ténébreux, 
de ce personnage, se dégagent de sombres présages. Son rire impromptu, fougueux, ample, rauque, puis sourd. 
Anna n’ait plus saisie d’effroi, pas plus que de désarroi, elle s’approche sans plus de résistance. Brûlante.inexplicablement 
Anna désire le rejoindre. 
Anna tente en vain de se lever, trop faible, tombe à genoux. Anna, dans un dernier soupir, délivre ce parfum d’érotisme , 
elle le portait encore longtemps après que nous ayons fait l’amour ensemble, j’en ai ce souvenir si délicat. 
Anna est à terre, épuisée, les genoux entrouverts, son parfum s’évapore, tout comme ce sang qui coule entre ses cuisses 
abondamment, elle ne s’en était aperçu auparavant, le sang coule et Anna ne souffre pas, étrangement, accidentellement. 
L’homme qui luit, la fixe longuement, prend sa main doucement. Anna revient à la vie dans un léger soubresaut. Lui s’insi- 
nue dans son esprit, elle entend sa voix rauque, brisée. Anna s’affaisse, hypnotisée, l’écoute : 
- Que t’as t’il rapporté ? - un vieux parapluie tout percé acheté naguère au Japon - la table du salon assortie au tapis - les 
rideaux et le service de porcelaine datant de votre mariage, il t’a légué le canapé-lit marqué de vos fiançailles et le livre 
des océans datant de quand vous n’étiez qu’amants. 
Ce qu’il t’a volé ? - tes bijoux, plus aucun regarde dans ton écrin. Nada, du toc, es-tu sotte ? Il t’a trahi t’as caché son 
histoire. 
L’amour rend aveugle et la haine rend fourbe. 
Attisé, incité par ta plus tendre amie, sa complice aussi. Á jamais ta rivale désormais. Elle l’ensorcela, son influence fut 
telle, qu’ils songèrent à t’évincer, l’aurais-tu deviné ? 
Et toi, qu’as tu laissé à ce simulacre d’amour, je te l’annonce : ta vie. 
Tu as fermé les yeux sur leurs relations. ils t’ont volé ta vie, tu saisis ? Dis moi oh combien tu lui en veux. 
À ces mots, Anna réagit : 
dans un souffle miraculeusement.retrouvé : 
Que ferais-je de sa vie, me voilà bien contrariée, nous avons vécu côte à côte un bon moment. De m’en être débarrassé 
m’est si apaisant, ce poids en moins, cette charge, ce serait pur inconscience de ma part que de la récupérer maintenant. 
Je suis aise de penser ne rien lui devoir en retour, c’est une délivrance pour moi, un soulagement. Il peut bien aller se faire 
pendre ailleurs, aller au diable, finir ses jours en enfer si ça vous chante, moi je m’en contrefiche ! 
- Merci, répondit l’homme de sa voix ample, tout en esquissant un sourire, il dissimulait mal toute la satisfaction qu’il reti- 
rait de sa tache achevée. Salua Anna fort courtoisement et se retira aussi étrangement qu’il était apparu. Et l’on entendit 
raisonner son rire longtemps encore après qu’il eut disparu. 
Anna sursaute, de stupeur, se réveille, sort des limbes. Anna se sent lasse dans son lit collant de transpiration, sortant 
d’un mauvais rêve. 
À ses côtés, le corps lourd d’un homme, étranger, étendu de tout son long, nu, plongé dans un sommeil profond . 
Proche de la table de nuit, le chat s’étire doucement, lorsque Anna se lève engourdie, alanguie, file au salon, à la quête 
d’une cigarette, elle la trouve au pied de la table basse, au fond d’un paquet, la dernière d’entre elles. Anna se l’allume, va 
vers la porte-fenêtre, entrouvre le rideau, il s’échappe de ses lèvres sèches une dense bouffée de fumée. 
Le regard plongé vers le ciel, Anna pense à son mari et son amie, ça l’agace, elle se retourne faisant face à la pièce à 
demi-éclairée. 
- Qu’il y a t’il ici qui ne lui appartienne encore, il a tout hypothéqué, tout ses effets personnels. Ce divorce n’avance pas, le 
problème, ces papiers, toujours pas en règle, l’administration soit-disant les aurait égarés, cela n’en finira t’il vraiment 
jamais ? 
Anna s’apaise, s’assoupit et songe à ce rêve qui l’a réveillé tout à l’heure, ce dont elle se rappelle encore, pas grand 
chose, ou peut-être si une bribe de ce rêve lui parlait du livre des océans, étrange, existe t’il vraiment. 
Anna termine sa cigarette, se dirige dans la chambre et s’allonge au côté de ce corps étranger, l’histoire d’un soir à n’en 
pas douter. Anna désire dormir, demain elle démarrera comme prévu sa voiture au petit matin, sortira du village pour 
prendre… un nouvel envol. 

Olivier Bardoul